31-07-2024
JO de Paris : dans l’ombre de la communication humaniste, l’injustice sociale et écologique
Louison Fourment | Alba Sud
Crédito Fotografía: Louison Fourment
Le 27 juillet, Thomas Jolly, directeur artistique de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, assurait que son désir était de montrer « des idées d’inclusion, de bienveillance, de générosité… Des idées de solidarité ». De son côté le président français Emmanuel Macron se disait « immensément fier » d’organiser la compétition. Pourtant, depuis 2017 et le choix de la ville de Paris pour accueillir les JO, de nombreux militants alertent sur les dommages écologiques et sociaux d’un tel évènement.
« JO de l’exclusion : 12 500 personnes expulsées ! »peut-on lire sur une immense banderole ornant la statue de la place de la République. Le 25 juillet, veille de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques, une contre-soirée était organisée au cœur de Paris par plusieurs associations opposées à l’organisation de l’évènement sportif. Dans le tourbillon des fumigènes, des chants militants s’élevaient pour dénoncer les impacts sociaux et écologiques de la compétition
Parmi le millier de manifestants, Paul Alauzy, coordinateur chez Médecins du monde et porte-parole du Revers de la médaille, s’insurge : « Entre mai 2023 et mai 2024, on a dénombré 12 500 expulsions : des roms, sans-abris, exilés, travailleuses du sexe, addicts qui se retrouvent dans des villes qu’ils ne connaissent pas, loin de leurs communautés et coupés des associations qui les aident habituellement. » Il est en contact avec certains d’entre eux, comme cet homme qu’on a envoyé à Bordeaux, à 600 km de Paris. Isolé, il n’a pas supporté : « il a pété un câble et est revenu à la capitale. »
Pour empêcher ces populations de revenir s’installer dans les rues qu’elles avaient l’habitude d’habiter, la mairie de Paris a employé les grands moyens : tables de piquenique, bloc de bétons et parkings à vélo remplacent les tentes et autres abris de fortune (Reppeneau, 2024). Boulevard de la Villette, les arches qui longent les quais ont été comblées avec du parpaing, « des murs anti-pauvres» comme les appelle Paul Alauzy.
Porte de la Chapelle : un quartier en pleine gentrification
Les habitants du quartier Porte de la Chapelle, connu pour avoir abrité la colline du crack, un campement qui a accueilli jusqu’à 2 000 consommateurs de drogues dures, ne se plaignent pas de ce changement soudain. A la terrasse du kebab O18, Safia* et Karim* discutent : « Avant tu ne pouvais pas laisser des enfants jouer ici, maintenant c’est plus calme, plus sûr. Mais quand [les JO] seront finis, les clochards vont revenir c’est sûr. »
En quelques mois ce quartier populaire a complètement changé de visage : les trottoirs gris et défoncés ont laissé place à une grande avenue verdoyante et pavée. Anne Hidalgo, maire de Paris, voulait en faire « la plus belle entrée de la capitale » grâce à un investissement de 500 millions d’euros. Résultat : une avenue métamorphosée sur un kilomètre de long et un nouveau stade qui a ouvert ses portes en février dernier.
S’il est ravi par les rénovations - « On dirait les Champs-Elysées ! » - Latfi, co-gérant du barbier La Parisienne, s’inquiète : « Les travaux ont amélioré la vie du quartier mais économiquement c’est dur. » Il en est sûr, après le prix de la nourriture ce sont les loyers qui vont augmenter. « Les propriétaires vont demander beaucoup plus ! » Dans ce quartier, de nouveaux commerces ouvrent leurs portes : restaurant branché, atelier de réparation de vélo, boulangerie bio… Autant de boutiques qui ne s’adressent pas tant aux habitants historiques de Porte de la Chapelle, qu’aux nouveaux qu’ils espèrent attirer malgré la mauvaise réputation du quartier. Ici les JO auront accéléré le processus de gentrification.
Une école coincée au milieu d’un échangeur routier
A l’échelle de la région parisienne c’est 4,4 milliards d’euros qui ont été déboursés pour la construction des ouvrages olympiques, sur un budget total de 11,8 milliards. Mais tous les projets de construction ne se sont pas faits avec l’approbation des habitants. En Seine-Saint-Denis, département du nord de Paris, la journaliste Jade Lindgaard a documenté la résistance aux travaux dans son livre Paris 2024, une ville face à la violence olympique (Regnier, 2024).
Dès 2021, militants écologistes et parents d’élèves se sont mobilisés contre la construction d’un échangeur routier à proximité du groupe scolaire Pleyel Anatole-France, sans obtenir gain de cause. Ces routes devaient permettre une meilleure circulation entre le village des athlètes, les sites de compétition et l’hôtel de la tour Pleyel, entre autres (Kokabi, 2024). Désormais, les 600 enfants de 3 à 11 ans vont à l’école entourés de routes fréquentées par « 14 000 véhicules par jour », dénombre Hamid Ouidir, de la Fédération des parents d’élèves de Seine-Saint-Denis. « C’est un danger pour ce groupe scolaire et pour tous les habitants du quartier Pleyel. La voiture n’est pas juste polluante. Un véhicule, quel qu’il soit, est accidentogène » (Qasmi et Duhamel, 2024).
La mairie de Saint-Denis et le constructeur Solideo ont installé un purificateur d’air dans l’une des cours de l’école. Pourtant, selon l’association Respire, le taux de concentration de particules fines relevé dans l’air autour de l’école dépassait régulièrement le seuil maximal recommandé par l’OMS entre janvier et juillet 2024. Les parents d’élèves craignent que leurs enfants souffrent d’asthme, de problèmes pulmonaires, cardiovasculaires ou neurologiques. Pour Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, «les enfants ne sont pas plus en danger dans l’école Anatole-France que dans n’importe quelle école de Saint-Denis ou de la banlieue parisienne. »
De semi-victoires et des défaites totales
Plus loin en Seine-Saint-Denis, dans la ville d’Aubervilliers, c’est la construction d’une piscine d’entraînement pour les JO qui a fait grincer les dents (Lieures, 2024). Pour que le centre aquatique soit plus rentable, Solideo avait pour projet de construire un solarium annexe qui aurait empiété sur 4 000m2 de jardins ouvriers alors que la ville ne compte que 1,4 m2 d’espace vert par habitant. Deux associations environnementales et trois jardiniers avaient eu recours à la justice pour empêcher le projet. En février 2022, la cour administrative d’appel de Paris a estimé que la construction du solarium n’était « pas justifiée ». La piscine, amputée de son annexe, a été inaugurée en mai dernier et des arbres ont été replantés sur la vingtaine de parcelles qui avaient déjà été détruites. Une victoire en demi-teinte pour les militants puisque le sort des jardins n’est pas encore tranché.
A des milliers de kilomètres de la région parisienne, c’est la construction d’une tour en aluminium en pleine mer qui a provoqué la colère des habitants de Tahiti et des champions polynésiens. L’édifice qui servira à accueillir le jury des épreuves de surf a été construit dans le fragile écosystème corallien de Teahupoo. Les travaux ont eu « quatorze impacts sur le corail, pas grand-chose », selon Pascal Luciani, référent local des JO (Canu, 2024).
Paradoxalement, les organisateurs des Jeux vantent l’aspect écologiques des travaux réalisés dans le cadre de la compétition (Cazi, 2024). Pour le village olympique, grand de 51 hectares, où les athlètes et leurs équipes logent cet été, Paris 2024 et Solideo assurent qu’il y aura 47% de baisse des émissions sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments. Utilisation de bois issu de forêts éco-gérées, béton « ultra bas carbone », climatisation bannie, système de récupération des eaux de pluie… « On a dix ans d’avance sur la stratégie nationale bas carbone », assure Nicolas Ferrand, directeur de Solideo (France Info Sport, 2024).
Des promesses pas tenues
Du « greenwashing » pour Nicolas, militant chez Greenpeace Paris, « le discours se veut responsable, socialement et écologiquement, mais en réalité il suffit de regarder la liste des sponsors et on trouve quelques-unes des entreprises les plus polluantes de la planète comme Toyota, ArcelorMittal, Coca-Cola… » Il l’affirme, ce n’est plus possible d’organiser de grands évènements sportifs « comme si la crise écologique n’existait pas ».
Les organisateurs des JO ont d’ailleurs dû revoir leurs promesses à la baisse (Reporterre, 2023). En 2021, ils affirmaient vouloir réaliser un évènement « à contribution positive pour le climat », qui compenserait plus de gaz à effet de serre qu’il en émettrait. Objectif désormais remplacé par celui de « diviser par deux l’empreinte carbone des Jeux » par rapport aux précédentes éditions. Paris 2024 estime le bilan carbone des JO à 1,58 million de tonnes d’équivalent CO2, deux fois moins donc que les Jeux de Londres et de Rio.
Les associations et ONG environnementales, déjà peu impressionnées par le chiffre avancé -« ça équivaut au bilan carbone de 150 mille Français sur un an, c’est énorme » - restent sceptiques quant à la réalisabilité d’une telle promesse. Selon Nicolas « leur hypothèse de calcul repose sur une limitation des vols internationaux. On ne pourra vraiment savoir qu’après coup » (Kokabi et Lavocat, 2024).Sur les 15 millions de spectateurs attendus 12% viennent de l’étranger, ce qui représente près de 2 millions de personnes. Le 24 juillet, le compte X des aéroports de Paris, partenaires des Jeux olympiques, s’enthousiasmait : «les collaborateurs restent mobilisés pour accueillir athlètes, délégations, supporters et passagers. La fête commence à l’aéroport ! »
« On a l’impression d’être abandonnés par l’Etat »
Pour limiter le bilan carbone de la compétition, une des mesures mise en place a été de construire le moins possible. 95% des infrastructures utilisées existaient déjà ou sont temporaires. Alors, pour loger les policiers, pompiers et soignants mobilisés pendant l’été, Paris 2024 a eu l’idée de réquisitionner les résidences étudiantes pour la durée des JO (Aoudia y Actu, 2024). En novembre dernier, Honoré Getas, étudiant en architecture, reçoit un mail lui annonçant qu’il devra quitter son logement en juin 2024. «Ça m’est tombé dessus, je ne pensais pas être concerné. »
Comme plus de 2 300 autres étudiants, majoritairement boursiers, il a dû déménager pour l’été. « Moi j’ai plutôt de la chance, j’ai pu rentrer chez mes parents à Lyon. Pour les internationaux c’est plus compliqué, ils n’ont personne pour les aider. Et certains étudiants en alternance ont dû prendre des jours de congé pour déménager. Certains m’ont parlé les larmes aux yeux de ce qui arrivait. » Ceux qui en faisaient la demande ont pu être relogé dans d’autres résidences. Ils ont reçu en prime 100€ et deux places pour les JO. Des mesures pas suffisantes pour Honoré, « on a l’impression d’être abandonnés par l’Etat ».
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